Pour ce cinquième et ultime épisode de Quoi Qu’il En Coûte, je recevais Anice Lajnef, ex-trader chez la Société Générale, qui milite aujourd’hui pour une société libérée de la dette. J’ai cessé toute collaboration avec le média QG après cette émission.
Lorsqu’il travaillait au coeur de la machinerie financière qui opprime les peuples, Anice Lajnef a observé le chantage économique exercé sur les gouvernements ayant fait le choix de financer leur dette auprès des marchés. De nombreux pays ayant perdu toute maitrise de leur budget, comme la Grèce ou le Portugal, furent contraints de mettre en œuvre des politiques d’austérité massive, avec des conséquences désastreuses sur le plan humain (fermeture d’hôpitaux, suicides de chômeurs ayant perdu leur emploi…). Or, très peu de voix osent remettre en cause le principe de l’endettement auprès des marchés (à de rares exceptions près, comme Benjamin Lemoine que nous avons précédemment reçu), comme l’explique Lajnef sur son blog Mediapart : « Quasiment aucun économiste de gauche ou de droite ne remet en question une économie qui repose sur la dette avec intérêts. Or cette dernière, par son caractère exponentiel, est la source des inégalités de richesse, et un outil qui accélère la destruction de la planète. »
Il a également constaté le caractère très instable du système financier, retrouvant de manière empirique des analyses développées par Hyman Minsky, et propose donc l’annulation de la dette, même s’il ne va pas jusqu’à remettre en cause le système capitaliste en tant que tel. Les propositions de Lajnef s’articulent autour de deux idées phares : tout d’abord, confier le monopole de la création monétaire à la banque centrale, à rebours du système actuel où ce sont les banques privées qui créent l’argent qu’elles prêtent (« les crédits font les dépôts », et non l’inverse), et en nous demandant en prime un taux d’intérêt pour cet argent qu’elles n’ont pas. Une telle proposition fut débattue en Suisse en 2018 lors du référendum d’initiative citoyenne sur la « monnaie pleine ». La banque centrale émettrait une « monnaie libre de dette », qui ne donnerait pas lieu à la perception d’intérêts par ses détenteurs, et dont l’utilisation serait choisie démocratiquement par la population. Plus encore, la valeur de cette monnaie pourrait diminuer au cours du temps (ce que Silvio Gesell appelait une « monnaie fondante »), réalisant ainsi une véritable euthanasie de la rente puisqu’il n’y aurait plus d’intérêt à conserver l’argent gagné : celui-ci serait immédiatement réinjecté dans le circuit économique. Le montant précis de cette dévaluation serait là encore déterminée démocratiquement, une fois que le peuple aura repris la main sur la création monétaire.
Ces réformes monétaires, d’apparence techniques, auraient des conséquences majeures sur le plan social, écologique et même anthropologique. Il s’agirait en effet de vivre dans le temps présent, de rompre avec l’accumulation de richesses pour le futur, d’en finir avec la logique du profit qui détruit la solidarité entre les humains. Toute la question reste de savoir l’ampleur des changements structurels nécessaires pour y parvenir. Sortir de l’UE et de l’euro, retrouver une monnaie nationale, apparaissent comme des conditions indispensables. Mais la question se pose également de la compatibilité d’un tel projet avec le système capitaliste fondé sur la loi du profit.
Ramzi Kebaïli,
animateur de Quoi Qu’il En Coûte