Pour ce quatrième épisode de Quoi Qu’il En Coûte, je recevais Benjamin Lemoine, sociologue spécialiste de la dette publique. Après son premier ouvrage L’ordre de la dette (La découverte, 2016), dans lequel il présentait le Circuit du Trésor mis en place par l’État français pour se financer jusqu’aux années 80, Lemoine publiera en 2022 La démocratie disciplinée par la dette.
Ces travaux sont capitaux car ils permettent de dépasser les débats habituels sur la dette publique. En effet, ces débats admettent généralement sans discussion que le financement de la dette doit nécessairement se faire auprès des marchés financiers. Or, pour que ces marchés acceptent de nous prêter à des taux raisonnables, ils posent comme condition la mise en place de politiques en leur faveur. Dans ce cadre bien délimité, la contraction de nouvelles dettes constitue donc un assujettissement, même lorsque les taux semblent intéressants. Si l’on prend un peu de recul, on réalise également que les contraintes budgétaires fixées par les traités européens, bien qu’elles soient totalement arbitraires, font sens si l’on se fixe comme unique objectif de faire baisser les taux, puisqu’elles permettent de rassurer les marchés financiers. Tout comme il fait sens, si l’on se place du point de vue de ces marchés, que les traités soient mis entre parenthèses lorsqu’une crise éclate, puisqu’une application trop stricte déstabiliserait le système financier. Au final, l’unique boussole de l’Union européenne est de garantir les profits des marchés, mais les partis européistes peuvent arguer que cette soumission est le seul moyen pour l’État de faire baisser le coût de sa dette. C’est pourquoi, comme l’expliquait en 1988 la banque J.P. Morgan, citée par Lemoine : « Peu importe l’issue du suffrage universel, la vie démocratique n’affecte plus la vie de la dette sur les marchés financiers, celle-ci suivra son cours, en toute autonomie ».
Mais évidemment, tout l’argumentaire des européistes s’effondre si l’on considère que « financer la dette publique » est synonyme « d’emprunter auprès des marchés financiers ». Or, l’histoire prouve qu’il s’agit d’une construction politique. Durant des décennies, la France se finançait sans passer par les marchés financiers, grâce au Circuit du Trésor. Celui-ci était basé sur trois piliers : la centralisation par l’État de plus de la moitié des dépôts (des institutions et des particuliers, via les comptes chèques postaux), les avances de trésorerie de la Banque de France, et l’obligation pour les banques de détenir un plancher de bons du Trésor. Ce système fonctionnait très bien, mais il fut démantelé par les gouvernements successifs qui cédèrent aux injonctions du Capital sous couvert de construction européenne.
L’urgence est donc de rebâtir un nouveau Circuit du Trésor, qui serait placé cette fois sous contrôle populaire grâce à une Banque de France socialisée et mise au service du bien commun. Sous l’influence du think tank Intérêt Général, dont Benjamin Lemoine est membre, la France Insoumise a intégré cette proposition à son programme, mais en a-t-elle saisi toutes les conséquences ? Comme l’expliquait en 2018 un article du Monde Diplomatique, l’élection de Mélenchon serait perçue comme une déclaration de guerre par les marchés financiers, et il importe donc de préparer un plan de bataille minutieux et détaillé, incluant le retour à une monnaie nationale afin de pouvoir financer la dette via la Banque de France.
Ramzi Kebaïli,
animateur de Quoi Qu’il En Coûte
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