La parution de l’ouvrage collectif La gauche à l’épreuve de l’Union européenne, rédigé par le collectif Chapitre 2 (Aurélien Bernier, Morvan Burel, Clément Caudron, Christophe Ventura et Frédéric Viale), indique que le tabou autour du Frexit de gauche commence progressivement à s’estomper.

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Dans cet ouvrage, l’UE et l’euro sont ainsi présentés sans fard comme un ordre économique et juridique imposant le libéralisme et le mettant en-dehors du contrôle des peuples. Face à ce mastodonte irréformable, les auteurs invoquent une « conception de gauche de la souveraineté » basée sur l’autonomie (« self-reliance »), et comprise comme capacité d’une communauté politique à s’auto-déterminer et à produire ses propres lois, tout en coopérant avec ses voisins. Un projet incompatible avec le libre-échange qui détruit les systèmes sociaux et saccage la planète (un tel projet est détaillé par Aurélien Bernier dans La démondialisation ou le chaos).

Le marché unique et la monnaie unique rendant impossible toute politique écologique et sociale, des pistes alternatives ont proposées. Dans le cas du retour à une monnaie nationale, face à la menace d’une fuite des capitaux et d’une hausse des taux d’intérêts, il serait indispensable de restaurer le contrôle des changes et de se financer auprès de la Banque de France, après en avoir repris le contrôle (un scénario que Clément Caudron a présenté plus en détail dans Système contre Système). Ces mesures devraient être prises en urgence dès l’élection d’un gouvernement de gauche, avant même la sortie juridique et formelle des institutions européennes.

Concernant cette sortie juridique, l’ouvrage rappelle la nécessité d’une révision de la Constitution, afin de restaurer la primauté du droit national sur le droit communautaire, en l’absence de quoi toute politique de « désobéissance » serait invalidée comme anti-constitutionnelle. Un travail salutaire dont on souhaite qu’il soit lu par toutes les les listes de gauche candidates aux européennes, et notamment par celle de Frédéric Viale, qui se présente avec la France Insoumise. Si cet ouvrage doit impérativement être lu, il mériterait également de servir de point de départ à un débat plus approfondi.

Ainsi, les scénarios de « désobéissance » tout en restant dans l’UE continuent à être envisagés, alors que chaque page du livre semble tendre vers la nécessité d’en sortir immédiatement, avant même que le Frexit soit juridiquement acté. La conclusion du livre appelle également à « dépasser le cadre national » dans plusieurs domaines comme la culture, la recherche ou l’environnement afin de développer « un sentiment de devenir commun aux Européens ». Mais il n’est pas précisé comment seraient prises les décisions à cette échelle, ni pourquoi il faudrait privilégier une identité « européenne » au contenu bien flou plutôt que des coopérations inter-nationales.

On comprend qu’il s’agit de ne pas effaroucher le lecteur de gauche attaché à l’Europe comme à un « totem » contre le nationalisme. Or précisément, force est en effet de constater que la souveraineté nationale donne parfois lieu à des interprétations contradictoires. On retrouve ainsi souvent, chez des auteurs « de gauche » opposés à l’Union européenne, la dénonciation d’une supposée « insécurité culturelle » qui serait provoquée par l’immigration, ou encore des appels à restaurer la compétitivité de la France. Sur ce plan, les cinq auteurs sont bien au clair, lorsqu’ils dénoncent l’Europe forteresse et se démarquent « d’une partie de la gauche souverainiste qui a sacrifié l’internationalisme ». Mais justement, cette démarcation mériterait d’être rendue encore plus explicite, afin de bien identifier les conceptions bourgeoises, racistes et néo-colonialistes de la Nation. Des conceptions qui sont d’ailleurs tout aussi prégnantes à l’échelle européenne qu’à l’échelle nationale, comme nous le constatons avec la montée d’une extrême-droite euro-identitaire, qui revendique la sauvegarde une identité « européenne » supposée blanche et chrétienne, menacée d’un « grand remplacement » migratoire.

En l’absence de frontières clairement délimitées, l’Europe semble condamnée à se définir en creux de manière identitaire, et ne peut donc pas fournir de cadre adéquat ni pour l’expression d’une souveraineté populaire inclusive, ni pour une coopération d’égal à égal entre nations souveraines. A contrario, la clarté sur les questions identitaires permettra de ne plus avoir honte de refuser intégralement l’Europe, et de lui substituer des coopérations bilatérales sans privilège européen. A nous de développer une conception populaire et inclusive de la Nation !

Ramzi Kebaïli