Fervent partisan de la sortie de l’UE et de l’euro, je réponds ici à l’interpellation de militant(e)s de l’UPR afin d’éclairer des divergences de fond, sans procès d’intentions.
1) L’aveuglement aux rapports de pouvoir
L’UPR propose de reporter plusieurs débats fondamentaux, comme la dette ou la politique énergétique, tant que nous n’aurons pas récupéré la capacité de choisir nos politiques commerciales ou monétaires. D’abord récupérer le pouvoir, avant de voir ce que l’on en fait. Pourtant si on n’accompagne pas le retour au franc d’une socialisation des banques et de la dette, les marchés financiers nous mettront en faillite. Et la sortie du marché commun nécessite de relocaliser nos activités et de réduire la consommation d’énergie des grandes entreprises (ce qui sera au passage très bon pour le climat!). La sortie de l’UE doit donc se préparer globalement, en étant conscient que cette institution n’est qu’une émanation de notre classe dirigeante qui fera tout pour conserver ses privilèges et son mode de vie destructeur.
Plus fondamentalement, l’idée de « laisser de côté le clivage gauche-droite » repose généralement sur une assimilation abusive entre des opinions individuelles et des logiques de pouvoir. Le système actuel nous soumet à divers rapports de domination (capitalistes, sexistes, racistes…), et ce sont ces oppressions qui nous divisent, et non pas le fait de les dénoncer. Je ne vois pas comment on fera « l’union populaire » si on décrète d’emblée que certaines discriminations ou exclusions seraient secondaires, au lieu de chercher à construire un projet inclusif pour l’ensemble des classes populaires. C’est en ce sens précis que je défends un Frexit « de gauche », bien que cette étiquette pose problème. En effet « la gôche » au pouvoir a toujours trahi, et ce bien avant le PS: massacres de sans-culottes, de paysans ou d’ouvriers, refus du suffrage féminin, colonisation des « races inférieures »… Parfois, des gens de droite attachés aux traditions se retrouvent même plus à gauche que cette « gôche »! Les étiquettes peuvent donc être repensées, mais à la condition de ne pas mettre sous le tapis les rapports de domination qui finiront par nous exploser à la figure.
2) Il y a deux visions antinomiques de la « souveraineté nationale »
L’UPR critique à juste titre maintes initiatives dites « souverainistes » qui, derrière leurs rodomontades, ne veulent pas réellement sortir de l’UE. En revanche, il n’analyse pas les causes profondes pour lesquelles certain(e)s défendent une « souveraineté » tout à fait compatible avec le système dominant. En fait il y a un grand malentendu sur l’expression « souveraineté nationale » qui peut se comprendre en deux sens antinomiques. S’agit-il de défendre la liberté d’action du cadre institutionnel actuel, avec toutes les oppressions qu’il charrie, ou bien de soutenir l’indépendance dans le cadre d’un projet inclusif et populaire restant à inventer? Pourquoi l’expression « souveraineté nationale face à l’UE » est-elle si souvent interprétée comme signifiant la fermeture des frontières migratoires et la reprise des clichés dominants sur une immigration qui menacerait notre pays? Tant que ce noeud gordien n’aura pas été tranché, un certain « souverainisme » aura une tendance structurelle à laisser tomber l’indépendance politique au profit de la défense d’une soi-disant « identité nationale » fabriquée de toutes pièces par notre classe dirigeante. L’Italie de Salvini nous en montre l’exemple.
3) L’article 50 a été conçu pour nous empêcher de sortir de l’UE.
Dernier point, et non des moindres: l’UPR remet en cause tous les articles des traités européens sauf un, l’article 50, qu’il considère comme une porte de sortie mise à notre disposition. Sauf que, comme est en train de le réaliser le Royaume-Uni, cet article 50 a été conçu pour soumettre toute velléité de sortie à deux ans de négociations éreintantes dont l’objectif est de faire changer d’avis la population. Une fois la décision prise, il faudra donc sortir immédiatement de tout cet arsenal juridico-économique, instaurer un nouveau franc et un protectionnisme écologique et social, tout en proposant aux autres pays d’établir des coopérations bilatérales respectueuses de leur souveraineté. Personnellement, je serais même favorable à réaffecter l’actuel budget européen de la France au titre de ces coopérations bilatérales en conservant les sommes allouées à chaque pays, afin de repartir sur de bonnes bases, plutôt que de jouer la carte du chacun pour soi.
Pour sortir unilatéralement, je ne vois pas d’autre solution qu’un référendum, ce qui pourrait notamment s’obtenir via le Référendum d’Initiative Citoyenne. Ce jour-là, je voterai la même chose que les militant(e)s de l’UPR. Mais en quoi aurais-je besoin pour obtenir cela de rejoindre un projet ambigu qui au final exclut plus de monde qu’il ne croit en rassembler?