L’instrumentalisation et le dévoiement de la lutte contre l’antisémitisme a atteint de nouveaux sommets ce jeudi 6 décembre, avec l’adoption par le conseil des ministres de la Justice et des Affaires Intérieures de l’Union Européenne d’une nouvelle définition de l’antisémitisme pouvant criminaliser toute opposition au régime israélien. Malgré des réserves initialement exprimées par les gouvernements suédois et espagnol, cette résolution a été votée à l’unanimité, sous l’impulsion notamment du gouvernement autrichien d’extrême-droite qui entretient des relations privilégiées avec son homologue israélien. Déjà adoptée au Royaume-Uni – et imposée au Parti Travailliste contre l’avis de Jérémy Corbin – cette définition devrait donc à terme s’appliquer dans toute l’Europe, et notamment en France où Emmanuel Macron cultive sa proximité avec les réseaux pro-israéliens. Selon cette définition inventée par l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), le simple fait de qualifier le régime israélien d’État « raciste » est considéré comme de l’antisémitisme. L’IHRA précise d’ailleurs que critiquer Israël ne serait autorisé qu’à condition de le faire au même niveau pour toutes les autres « nations démocratiques » (sic).

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Pourtant, le régime israélien n’est pas et n’a jamais été une « nation démocratique ». Il est fondé sur l’exclusion de la population autochtone palestinienne, et n’a jamais fixé quelles étaient ses frontières sur une terre où cohabitèrent pendant des siècles juifs, chrétiens, musulmans et non-croyants. En 1947, l’ONU a voté une résolution autorisant les juifs du monde entier à venir s’installer dans une partie bien délimitée de la Palestine, compte tenu des atroces persécutions dont ils furent l’objet en Europe – notamment le génocide nazi. Mais dans le plan prévu par l’ONU, la création d’un « État juif » n’a jamais signifié qu’un droit lui était donné à voler les terres des habitants non-juifs vivant sur ce territoire, et encore moins à les massacrer. Sans revenir dans le détail des innombrables résolutions de l’ONU bafouées depuis 1947, il est clair que les politiques de nettoyage ethnique (800.000 Palestinien.ne.s expulsé.e.s en 1947, et aujourd’hui 5 millions vivant dans des camps de réfugiés), de concentration (2 millions de Palestinien.ne.s croupissent dans les 360 km carrés de la bande de Gaza, véritable prison à ciel ouvert) et de colonisation constituent un épouvantable crime contre l’humanité. Et le régime israélien constitue par définition un État raciste, puisque ses frontières n’ont jamais été fixées et s’étendent aussi loin qu’il y a des colons israéliens. Le gouvernement d’extrême-droite de Benjamin Netanyahou, élu depuis 2009 non pas de manière « démocratique » mais « ethnocratique », n’est donc pas un accident de l’histoire mais constitue l’aboutissement d’un projet à la fois colonial et raciste.

Or, ce régime ne tient que grâce au soutien militaire, diplomatique et économique des puissances états-unienne et européennes, qui considèrent toute forme de résistance palestinienne comme du « terrorisme ». L’UE a même mis en place un « partenariat privilégié » qui approfondit des liens culturels et commerciaux déjà intenses. Si ces flux d’armements et de financements se tarissaient, le régime israélien serait bientôt réduit à une parenthèse de l’histoire. C’est pourquoi il est si important de soutenir la campagne BDS (Boycott – Désinvestissements – Sanctions), qui est criminalisée en France depuis la circulaire Alliot-Marie de 2010. Comme le déclara un Palestinien du camp de refugiés de Chatila le 1er décembre à Montreuil: « Boycotter la marchandise israélienne et insister sur notre droit au retour est le plus grand témoignage de soutien que vous pouvez nous offrir »Notons d’ailleurs que la campagne BDS ne prend pas parti sur la résolution du conflit: création d’un seul État démocratique ou bien mise en oeuvre du projet initial de l’ONU, qui prévoyait un État à majorité juive mais tenu de respecter les droits de tou.te.s ses citoyen.ne.s et d’autoriser les Palestinien.ne.s expulsé.e.s qui le souhaitent à rentrer dans leur maison. Avant même d’être « anti-sioniste », la campagne BDS est donc fondamentalement anti-raciste, puisqu’elle défend simplement l’égalité des droits des populations en Palestine.

Pour conclure, l’IHRA a au moins raison sur un point: les juifs ne sont pas responsables des crimes du régime israélien, qui usurpe l’appellation d’État « juif ». Toutes les organisations qui instrumentalisent et dévoient la lutte contre l’antisémitisme pour défendre le régime criminel israélien mentent effrontément. Citons notamment le CRIF ou encore la LICRA, qui vient jusque dans nos écoles semer sa propagande de haine anti-palestinienne et islamophobe dans les têtes de nos enfants. Cette propagande ne devrait-elle pas, elle aussi, tomber sous le coup des lois anti-racistes?

Ramzi Kebaïli

Militant du comité Montreuil Palestine et engagé dans la campagne BDS depuis 2012, je fus responsable de la commission Palestine du PG pendant la guerre de Gaza en 2014 et co-fondateur de la commission Palestine de Nuit Debout en 2016.