La Nation, concept périmé ou bien cadre potentiel d’exercice de la démocratie et de la satisfaction des besoins fondamentaux?
1) Une conception égalitaire de la Nation
Tout d’abord, écartons un malentendu: le mot « nation » (tout comme le mot « peuple ») est parfois employé dans un sens identitaire, afin de désigner une fraction des habitant.e.s d’un territoire donné. Par exemple, le régime colonial israélien attribue des privilèges à ce qu’il appelle la « nationalité juive », instaurant ainsi un monstrueux apartheid contre les Palestinien.ne.s. La charte des « Nations » unies est pourtant claire: un État-nation s’établit sur un territoire donné et doit traiter toute sa population à égalité.
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Les manuels scolaires nous ont appris à distinguer une conception ethnique de la Nation (par exemple en Allemagne) d’une conception civique qui aurait cours sous la République française refusant de distinguer ses citoyen·ne·s en fonction de leur supposée « race » ou culture. Toutefois, cette conception « républicaine » n’a encore jamais été réalisée dans les faits. Selon nous, la nationalité française devrait être proposée à tou.te.s les habitant.e.s du territoire français (après avoir laissé les territoires d’outre-mer s’auto-déterminer). Et ce, quelle que soit notre culture ou notre origine. En effet tant qu’elle ne deviendra pas pleinement inclusive, la « Nation » sera comprise à contre-sens comme une manière détournée pour désigner une identité excluant une partie de la population.
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2) Chacun.e a droit à une Nation
Certes, les frontières actuelles sont arbitraires et susceptibles d’être modifiées. Toutefois, le fait que plusieurs cultures cohabitent au sein d’un même territoire, ou qu’une même culture soit divisée entre plusieurs territoires, ne devrait pas en soi poser problème. La seule véritable nécessité pour « faire Nation » est l’existence d’une communauté politique solidaire dans laquelle chacun.e est prêt à se soumettre à l’intérêt général. C’est ce critère indispensable qui manque à l’Europe: les pays sont si divers qu’il n’y a même pas d’intérêt général commun (on le voit avec l’euro, dont le taux pénalisera toujours certains pays) ni de consentement des peuples à payer pour les autres. Il ne sert à rien de s’acharner: actuellement, les communautés politiques solidaires existent à l’échelle nationale dans le meilleur des cas (voire dans certains cas à des échelles moindres lorsque des régions menacent de faire sécession et de construire leur propre État–Nation). C’est à cette échelle que nous pouvons bénéficier de services publics visant à satisfaire l’intérêt général, ainsi que du droit de vote.
Évidemment, nos classes dirigeantes ont réussi à dévoyer les élections mais au moins le contrôle des dirigeants reste possible à l’échelle nationale, alors qu’il ne l’est pas du tout à une échelle supérieure. Ce constat ne doit pas nous entraîner dans le contre-sens qui consisterait à nous solidariser avec la caste dominante « nationale » qui exploite les classes populaires au lieu de se soumettre à la volonté générale. Au contraire, ce constat devrait nous entraîner à être intransigeant envers nos dirigeants: il n’y a absolument rien à attendre de « l’Europe » ou de la « communauté internationale » qui ne sont que des lobbys de castes dominantes, et c’est à chaque peuple de reprendre le contrôle dans son pays. Le retour à la souveraineté nationale est donc une condition indispensable pour établir une démocratie, bien qu’elle soit insuffisante.
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3) Vers la co-existence pacifique des Nations souveraines
La volonté d’indépendance nationale est un des affects politiques les plus puissants, et cela de manière parfaitement justifiée: comment vivre sous occupation étrangère, comment confier le choix de nos politiques à des dirigeants qui n’en subiront pas les conséquences? Depuis la 1ère Guerre Mondiale, dont nous commémorons actuellement le centenaire, le mot « nationalisme » est employé en un sens péjoratif et est jugé facteur de guerre. Toutefois ce terme est trop imprécis car il englobe à la fois la volonté de défendre son territoire (qui est toujours justifiée, y compris pour un régime autoritaire) et la volonté d’occuper un territoire étranger (qui n’est jamais justifiée, y compris sous les meilleures intentions). Dans le dernier cas, nous nous retrouvons devant un refus de respecter la souveraineté d’autrui, qui ne pourra entraîner que guerres et représailles. La seule solution pour préserver la paix est la co-existence de nations souveraines, sur un pied d’égalité. Et à ce titre, si la France voit régulièrement sa souveraineté bafouée par les États-Unis ou l’Allemagne, elle-même bafoue la souveraineté de nombre de pays et devrait commencer par montrer l’exemple en retirant son armée d’Afrique et en cessant de soutenir la colonisation de la Palestine.
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Récapitulons. Le sentiment d’appartenance nationale est confronté à trois dérives potentielles:
- il peut être dévoyé pour exclure une partie de la population et casser l’unité nationale
- il peut être dévoyé pour solidariser la population avec sa classe dirigeante, même lorsque celle-ci mène une politique anti-nationale
- il peut être dévoyé pour s’ingérer chez un pays étranger, ce qui le prive de ses droits nationaux
La seule manière d’éviter ces dérives n’est pas d’abandonner la Nation, mais au contraire de défendre une conception alternative de la Nation dont l’adversaire n’est pas l’étranger, mais le dominant qui fait passer ses intérêts particuliers avant l’intérêt général. Ainsi, la Nation sera inclusive, sociale et respectueuse de ses voisins, ou elle ne sera pas…